Je ne sais pas si on peut vraiment parler de politique et de cuisine. Mais après avoir réalisé ce plat, je suis à peu près certain que si vous le laissiez dans un isoloir, il voterait à droite.
Ingrédients :
…
Exceptionnellement, je n’ai pas de photo de tous les ingrédients. Tout simplement parce que la préparation du plat se fait sur un paquet de jours et que je n’ai pas eu tout à portée dès le lancement de mon combat. Donc on va réaliser cette oeuvre majeure en grands chapitres pour avoir le temps de souffler et je détaillerai les ingrédients au fur et à mesure. Pas pratique pour aller faire les courses vous me direz, mais honnêtement vu la complexité du plat, je doute que quelqu’un s’y lance sans avoir lu en détails au moins trois fois la recette.
I) Acte UN : La préparation du lièvre
Bon désolé pour les photos. Il y en a probablement certains qui pensaient être sur un blog vegan. Bah oui, mais pas que. TO-LÉ-RAN-CE.
Ingrédients :
- un lièvre
- poivres et épices au choix
- thym
- cognac
- vin rouge (j’ai utilisé du Cahors) en LARGE quantité
- légumes pour le bouillon : ail, échalotes, carottes, et céleri branche
Pour commencer, il va vous falloir préparer le lièvre. Le vider, le nettoyer et le dépecer. J’avais précédemment brièvement expliqué comment on procède ICI. Recommandations particulières : essayez de garder le maximum de sang (notamment les poches de sang caillé par exemple) ainsi que les abats : foie, coeur, rognons… Attention comme d’habitude aux issues qui sentent particulièrement fort avec le lièvre, donc soyez prudents et si problème, nettoyez bien tout à l’eau froide en découpant et jetant les parties odorantes.
On se retrouve donc avec un joli lièvre sans son petit pyjama. C’est peut être également directement à ce stade que vous vous trouverez si vous vous fournissez en lièvre dans un magasin.
Le premier atelier de cette recette va constituer à un désossage complet de l’animal. il n’y a pas vraiment de mystère, armez vous d’une lame très coupante, partez d’une patte et suivez les os lentement, fendez le muscle et extirpez l’os jusqu’à l’articulation, dégagez la et continuez. C’est long, c’est fastidieux, mais c’est ça le respect du produit.
Une fois les pattes terminées, il va falloir extirpez le corps de l’animal. Grattez soigneusement le long de la cage thoracique. Vous devez conserver le maximum de chair, même si elle est très fine et éviter tant bien que mal de percer quoi que ce soit. Sinon vous aurez du mal pour la suite de la recette.
Grattez au couteau le long de la colonne en évitant encore de percer, dégagez bien les râbles et vous finirez par vous retrouver avec tout votre lièvre sans le moindre os. Une espèce de limace de lièvre.
Je vous invite à bien dégager le maximum de chair qui peut rester sur la carcasse, notamment le long de la colonne. Conservez ces morceaux avec le reste.
Ensuite, on recouvre la chair avec du thym frais, les épices qui vous plaisent (j’ai utilisé du laurier et du poivre, et quelques clous de girofle assez sobrement) et un verre de cognac. J’imagine que l’on peut également utiliser sans problème du whiskey, armagnac, ou même du rhum. Placez le tout dans une boite bien étanche pour ne pas embaumer le frigo ou fixer de mauvaises odeurs et laissez mariner 24H.
Pour la préparation du bouillon, préparez tous vos légumes et faites les revenir dans un peu de beurre.
Séparez la carcasse en plusieurs morceaux, et cassez le maximum d’os. J’utilise ici un magnifique marteau à Schnitzels. Instrument trop méprisé dans nos cuisines françaises.
Recouvrez vos os et vos légumes de 3 à 4 L de vin rouge (on est plus à un litre près, mais laissez vous un godet tout de même). Assaisonnez d’épices mais surtout pas de sel et réservez au frais 24h également. Pour information, il est vraiment déconseillé de saler car le bouillon va devoir être énormément réduit, il est préférable de le saler au dernier moment.
II) Acte DEUX : préparation et cuisson
En premier lieu, mettez à chauffer le bouillon. Dès que ça bout, réduisez jusqu’à frémissement. Il ne faut pas couvrir en premier lieu car l’alcool doit s’évaporer. Pensez à aérer un peu du coup, c’est quand même pas loin d’un cubi entier là.
Ingrédients :
- de la farce (type chair à saucisse)
- un foie gras entier cru
- de la crépine de porc ou bien des bandes de gaze, un sac à jambon ou une chaussette de ski
- du sang
- de la barde de porc, de la gorge, du lard frais, bref du gras.
Pendant ce temps là, ressortez votre lièvre et débarrassez le des branches de thym. Vous constaterez que le cognac l’a déjà fait changer de couleur. Quelle canaille !
Pour ceux qui se souviennent du Turducken, on est un peu dans un délire proche, puisque l’on va fourrer notre lièvre et le reconstituer pour cuisson.
Étalez donc votre animal et recouvrez le intégralement d’une couche de farce.
Puis de morceaux du foie gras cru vers le milieu après l’avoir dé-veiné. C’est pour cela qu’il faut éviter au maximum de percer la viande sinon vous allez avoir des fuites de porc.
On reconstitue ensuite la bête en roulant le tout pour former un long rôti. Attention à ne pas être trop brutal pour que cela ne sorte pas de tous les côtés.
À ce stade, en restaurant ils procèdent à la couture du tout. Je n’ai pas pu procéder à cet étape par défaut de matériel adéquat mais vous pouvez vous y mettre si cela vous plait.
Recouvrez le tout de plusieurs morceaux de gras. Le gras va fondre lors de la cuisson et apporter du moelleux supplémentaire à la viande de lièvre.
Ensuite, j’ai tout enveloppé dans une crépine de porc, puis dans un sac de cuisson pour jambon. Vous pouvez utiliser tout tissu perméable afin de maintenir votre ensemble en vérifiant tout de même que c’est un tissu qui ne risque pas de déteindre ou de laisser des fibres sur la viande hein. Pas vos vieilles chaussettes de ski par exemple, mais plutôt un torchon en coton blanc !
Côté bouillon, laissez le cuire plusieurs heures. Je l’ai trouvé particulièrement acide. J’ai ajusté avec une cuillère de bicarbonate et une de sucre (pour 4L c’est pas non plus énorme). Cela va dépendre du vin utilisé. Toutefois attention dans vos corrections, la sauce va être produite par une réduction de /4 fois du bouillon, donc tout ce que vous allez y mettre va s’y retrouver. L’acidité va dans tous les cas être atténuée par la cuisson longue et le gras. Bref, tout est affaire de mesure (vu l’exagération permanente de cette recette, vous me direz que je me fous de la charité depuis mon hôpital et vous avez bien raison).
Lorsque le résultat vous plait, recouvrez votre lièvre avec le bouillon dans une cocotte ou une poissonnière (je précise que c’est un plat, bande de bandits).
J’ai conservé les os et les légumes mais ce n’est pas nécessaire, cela n’apportera sans doute plus grand chose, c’est principalement pour élever le niveau de mon bouillon sans avoir à le diluer car la forme de ma cocotte n’était pas idéale.
Et on enfourne le tout au four pour une nuit complète à 110°C après l’avoir recouverte.
Vous pouvez prendre un repos bien mérité.
III) Acte TROIS : Finitions
Alors l’énorme avantage de cette recette, c’est qu’elle va vous replonger dans les délices de l’enfance et vous faire revivre l’excitation d ‘un réveil le matin de noël ou de votre anniversaire. Courez donc en pyjama jusqu’au four pour déballer votre cadeau, petits chenapans.
L’ouverture de la cocotte se fait le coeur serré et le souffle coupé. Vous prendrez déjà une bonne claque d’odeur en rentrant dans la cuisine, mais attendez de voir dans le four. Et il est là, tapi dans son marécage de pinard, et sous une épaisse couche de gras à vous fixer d’un oeil torve et à vous demander de le dévorer. Haaaaaaaa, les joies de la cuisine.
Sortez le rôti sans vous bruler. Attention dans la manipulation de ne pas le briser, j’ai eu l’impression que cela tenait bien mais ce serait tout de même dommage de le déchirer à ce stade. Une fois qu’il est refroidi, vous pouvez le réserver au froid. Personnellement, je l’ai mis sous vide car le diner n’était pas prévu pour tout de suite.
Concernant le bouillon, il y a encore pas mal de travail.
La première chose à faire et de réserver le bouillon au froid pour figer l’épaisse couche de graisse. N’oubliez pas que vous avez quand même coller un foie gras entier et une couche entière de lard la dedans. J’en ai enlevé le maximum (que j’ai d’ailleurs utilisé pour un excellent riz pilaf de type festif).
Il vous faut ensuite retirer tous les morceaux (os, viande, légumes, épices etc…) en passant au chinois. Pour ne rien vous cacher, j’ai tout mangé et je pense que ce serait un peu criminel de les jeter mais faites ce qu’il vous plaira. Attention à ne pas tuer votre chien, les os sont petits et cassants.
Il va maintenant falloir réduire le bouillon jusqu’à ce qu’il devienne vraiment bien fort (en gros de deux à quatre fois en volume). Attention à ne surtout pas le cramer, parce qu’à ce stade, autant vous avertir que vous ne risquez pas d’en re-préparer et ça serait un peu con de le déguster au ketchup.
Une fois que le bouillon vous semble bon, plongez-y tous les abats et le sang que vous aviez conservés au frais et mixez le tout le plus finement possible. Il faut qu’à ce stade la sauce vous plaise, donc à vous d’ajuster les épices, le sel, de la faire réduire ou de l’allonger légèrement. Je sais que ce n’est pas facile si on ne sait pas d’avance à quoi elle doit ressembler mais bon, prenez une direction, posez vos couilles et faites semblant de savoir ce que vous faites (vous remarquez d’ailleurs que je n’ai pas de photo ici, ne sachant pas vraiment ce que j’étais en train de foutre).
Une fois que l’ensemble vous convient, vous êtes quasiment prêts… Vous pouvez soit conserver la sauce au frais avec le lièvre pour un service ultérieur, soit passer directement au chapitre suivant.
IV) Acte QUATRE : dressage et service
Découpez de belles tranches de votre lièvre et mettez les à plat dans une assiette creuse. Il est recommandé de les réchauffer à température moyenne au four avant service. Ne réchauffez pas l’ensemble car la découpe sera très compliqué à chaud et fuyez bien entendu votre micro-onde qui va tout dénaturer.
Pendant que cela réchauffe, il va falloir lier la sauce. Plusieurs méthodes de liaison, à la fécule (maïs ou pommes de terre), au roux (farine et beurre cuit) ou au sang. Je vous laisse choisir en fonction de ce que vous avez sous la main. À ce stade j’ai également vu plusieurs versions encourageant d’ajouter une cuillère de cacao amer à la sauce. La méthode est à peu près toujours la même, vous commencez avec un tout petit peu de sauce et votre agent de liaison, dès que c’est parfaitement homogène vous ajoutez progressivement le reste de la sauce. J’ai utilisé le roux car je n’avais plus de sang. N’oubliez pas de laisser un peu de temps car l’amidon ne gonfle pas instantanément. L’idée est d’obtenir une belle sauce nappante, pas une sauce béchamel de cantine scolaire. Donc en gros j’ai appris que l’action de lier d’une sauce revenait à la faire coaguler pour l’épaissir et qu’elle n’ait plus l’aspect liquide d’un jus. J’étais aussi assez étonné, mais même wikipédia dit qu’on peut y arriver avec toutes sortes d’ingrédients. Les puristes écrivent toutefois partout que le lièvre à la royale se lie avec son sang.
La consistance est selon votre goût. Je n’aime pas les sauces trop liées, cela me rappelle la cantine scolaire.
Pour le dressage, une tranche, un peu de sauce, un accompagnement et surtout, des gens de bonne compagnie !
Un peu d’histoire…
L’histoire de ce plat est intimement reliée à celle des chicots de notre roi soleil. Pourtant tout démarrait plutôt bien pour notre monarque, puisque Louis XIV nait avec deux incisives. En janvier 1639, alors âgé de 5 mois, il a déjà épuisé 9 nourrices. Le monstre leur déchire les tétons lors de la tétée. La situation se normalise (d’un point de vue dentaire) jusqu’à ses 38 ans où le roi connait ses premiers malheurs bucco-dentaires. Il faut dire qu’à l’époque, l’hygiène de la bouche se limitait à se rincer la bouche à l’eau. Le roi Soleil connait une espérance de vie remarquable pour l’époque puisqu’il s’éteint en 1715 à l’âge de 77 ans. Mais dès ses 60 ans, il n’a plus une dent. Il se nourrissait alors principalement de bouillon et de mie de pain.
Les repas du roi étaient extrêmement organisés. Le roi mange seul ou avec la Reine. Enfin seul, il est loin d’être le seul dans la pièce, mais c’est le seul qui mange ! Les repas sont pris en public, n’importe quel sujet peut venir y assister à condition d’être bien vêtus et de porter l’épée. Les assiettes sont en or. C’est rupin.
Il y a 5 services classiques.
- Le potage, tout ce qui est cuit dans un pot en fait.
- Ensuite les entrées, tourtes de viandes, pâtés, ragouts ou hachis.
- Le troisième service concerne les pièces de viande bouillies avec des légumes.
- Le quatrième service : le rôt. Viandes rôties, chapons, poulets, pigeons ou perdrix.
- Et enfin les entremets, censé être l’apothéose du repas : bécasses, sarcelles, lièvres.
- En dessert, un petit fruit parce qu’il ne faut pas non plus déconner avec les vitamines et faire plaisir à mamie !
Bref, quand on passe 60 ans de sa vie à se goinfrer comme un goret de tous les animaux disponibles sur son royaume, c’est un peu dur de repasser aux soupes de poireaux. Le roi demande donc à ses cuisiniers de lui inventer un plat qu’il sera en capacité de manger sans ses valeureuses quenottes. Ceux-ci lui ont donc inventé le lièvre à la royale qui des siècles plus tard est toujours considéré comme l’une des plus grandes gloires de la cuisine française. En gros, un plat de sans dents quoi.
Il est assez intéressant de constater que Louis XIV a eu un rôle actif dans l’histoire de la médecine dentaire.
Suivant la décision de George II en Angleterre, Louis XIV sépare les responsabilités d’arrachage de dents, de petite chirurgie et de soin des cheveux. Il promulgue l’édit Expert pour les dents qui interdit aux barbiers l’extraction des dents et introduit un nouveau corps de métier aux mêmes droits que le chirurgien, le chirurgien dentiste.
Revenons à nos lièvres désossés. Par la suite, on retrouvera pour la première fois la recette en 1775 dans les Soupers de la cour du cuisinier Menon et le prix est repris par la plupart des plus grands chefs avec deux écoles qui se distinguent nettement :
- celle d’Antonin Carême qui est plutôt la recette présentée plus haut (mariné, farci, roulé en ballottine, servi en tranches)
- celle du sénateur Couteaux, où le lièvre s’apparente plutôt à un civet à la chair effilochée.
Les divergences entre les deux recettes ne sont pas les mêmes selon les sources. Un coup c’est servi en tranches et l’autre en effiloché, l’autre fois on explique qu’il n’y a pas de foie gras dans la recette du sénateur. J’ai un peu de mal à trouver l’info exacte.
Antonin Carême, de son vrai nom Marie-Antoine Carême est surnommé le « roi des chefs et le chef des rois ». C’est le premier chef de l’histoire à se faire appeler chef. Tout simplement. C’est également le premier chef à se faire une réputation internationale. Il partait pourtant de loin, enfant d’une famille pauvre de 14 (on est toujours dans la thématique de l’animal visiblement), son père l’abandonne à une porte de Paris avec un baluchon et quelques pièces car il avait considéré qu’astucieux, Antonin serait le seul de la famille à avoir une chance de s’élever socialement. Un chic type.
Il trouvera rapidement un poste dans un restaurant où ses compétences seront rapidement remarquées. À 13 ans, il rentre comme apprenti chez le célèbre pâtissier Sylvain Bailly à côté du Palais Royal. À 17 ans, il est promu premier tourier. Pour ceux qui l’ignorent, il s’agit de réaliser les pâtes feuilletées et toutes les viennoiseries.
Reconnaissant son talent, Bailly lui laisse pas mal de libertés et Marie Antoine en profite pour aller étudier l’architecture et le dessin à la Bibliothèque impériale. C’est loin d’être anecdotique car il ouvre dans la foulée sa première boutique, la Pâtisserie de la rue de la Paix qu’il conserve jusque 1813. Il y devient célèbre pour ses pièces montées et ses constructions élaborées utilisables en centres de tables qu’il expose dans la vitrine de sa patisserie. Il puise son inspiration justement dans les formes de temples, des pyramides ou des ruines antiques. Il considèrera lui même l’art culinaire comme une branche de l’architecture.
Passionné, il se voit rapidement confier la confection des pièces montées destinées à la table du Premier Consul, puis à celle de Talleyrand. Napoléon n’a jamais accordé beaucoup d’importance à la nourriture, par contre il a vite compris l’importance des relations sociales dans le monde de la diplomatie. En 1803, il achète pour Talleyrand le chateau de Valençay en dehors de Paris. Ce château est destiné à devenir un lieu de rendez vous diplomatiques. Talleyrand emménage et emmène Carême dans ses valises et lui propose un défi de déglingo : créer une année entière de menus, sans la moindre répétition et en utilisant uniquement des produits de saison. On savait rire.
Après la chute de Napoléon, Carême se rendra à Londres au service du prince régent, le futur George IV puis à Saint Petersbourg sur invitation du Tsar Alexandre 1er (mais visiblement ce dernier change d’avis car Carême repart dans l’autre sens sans même avoir préparé le moindre repas, même pas une assiette de coquillettes !). Après quelques années de travail pour l’empereur d’Autriche François 1er, il retourne à Paris où il devient le chef du banquier James de Rothschild.
Il meurt à l’âge de 48 ans et est enterré au cimetière de Montmartre pour ceux qui cherchent une activité pour le weekend. On ne sait pas bien de quoi il est mort mais il s’agirait soit d’une inhalation massive de fumées toxiques de charbon (ne cuisinez pas au charbon en intérieur) soit d’une complication d’infection dentaire (un examen de son crâne conservé au Muséum d’histoire naturelle montrerait un état dentaire très dégradé). Avec tout le sucre qu’il s’envoyait, pas étonnant qu’il était sujet à quelques caries.
Bref, si vous ne deviez retenir qu’une chose de cet article :
PS : Si vous vous sentez l’âme d’un chef, vous pourrez toujours vous inscrire au championnat du monde du Meilleur Lièvre à la Royale qui a lieu chaque année à Romorantin.